#Tellement

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programmation 28.03.2017

La révolution dans ta tête

Rouquiniol

Paraît que Crystal Fighters viennent jouer bientôt à Festi’neuch. Tu les connais toi ? J’ai maté ce qu’ils font sur Youtube, ils sont plutôt marrants à regarder.


La musique est un joyeux mélange néo-hippie, leurs vidéos sont toutes jolies, avec des filtres qui rappellent les seventies et Instagram. Ça sent l’été, les petites fleurs, l’insousciance, l’amour encore et toujours.

C’est bien pensé, c’est finalement tout ce dont nous avons besoin, ce d’autant plus par les temps qui courent. Tu sais, cette vilaine époque des lendemains qui ne chantonnent pas des masses, le présent moribond dont on ne sait que faire, tout ce temps perdu derrière son ordinateur, le job qui te saoûle, les collègues qui te fatiguent, ton chat qui fait la grève du ronron, le courrier dans la boîte aux lettres qui se résume à des factures et de la pub pour ce que tu n’as plus les moyens de te payer.

C’est dans ce genre de moments qu’il faut inviter chez soi, spontanément, une belle équipe de gais lurons, des poètes et des rêveurs comme par exemple les Crystal Fighters. Histoire qu’ils te racontent un peu comment ça se passe la vie. Pour se la faire belle, jour après jour.

Justement, un mardi matin sous un ciel gris, alors que je glauquais en regardant par la fenêtre, ils passaient en bas dans la rue, je ne sais même pas pourquoi ils étaient là. Étrange coïncidence, alors que j’écoutais justement l’un de leurs morceaux. Je les ai appelés, et les ai invité à monter chez moi.

Une belle bande de rigolos ces zicos. Paraît qu’ils se font passer pour des anglo-espagnols, mais qu’en fait c’est pas vrai, qu’ils sont juste anglais en fait. C’est sûrement parce qu’ils jouent du xalapartas et du txistus, ces percus d’origine basque au nom plein de consonnes et difficilement prononçable, et qu’ils ont dû se moquer de quelques journalistes ma foi peu inspirés.

Il sont arrivés avec des chips, du saucisson et de la bière. Sebastian avait ses propres poudres d’aliments sans trace de viande. On s’est fait une bonne bouffe, on a fait un peu connaissance dans la cuisine en buvant quelques binches, puis on s’est assis par-terre dans le salon autour d’un bon mafé aux haricots, et nous avons tous mangé avec nos doigts dans le même plat.

Sebastian a allumé une cigarette, puis il a gratté trois accords sur son ukulele. Gilbert a commencé à plaquer quelques nappes de synthé bien planantes sur son ptit moog portable. Le mélange sonore invite à la danse. Le plat de mafé est rapidement glissé sur le côté, et nous nous levons, l’un prenant une fourchette pour battre le rythme, l’autre deux cuillères, et nous dansons dans le salon. « Vérité extatique », qu’ils l’ont appelée cette chanson. Les membres du groupe étaient rapidement à torse nu, puis Gilbert a enlevé son fut, j’ai fait de même. Et nous avons viré nos fringues par la fenêtre, et nous avons dansé nus dans le salon, poussant et jetant les quelques chaises sur les côtés de la pièce. Nous chantions à tue-tête « nous sommes nés pour être seuls, tout le monde tout seul, né seul pour être seul, nous resterons toujours seuls ». C’est pas tout faux tout ça, même plutôt vrai quelque part d’ailleurs. Les chaises ont volé, le parquet s’est détaché. Il y avait un vase avec un bouquet de fleurs par-terre. Nous avons lancé les fleurs, certains se frottaient avec, d’autres les mangeaient, j’ai arrosé tout le monde avec l’eau du vase et lancé ce dernier aussi par la fenêtre. Nous dansions dans le salon, mais c’est comme si l’espace s’était ouvert bien au-delà des quatre murs l’entourant. Comme si plus rien ne nous retenait, comme si le temps s’arrêtait. Plus loin, derrière les murs, je percevais le désert et le vent qui se lève sur les dunes en début de soirée. Je marchais je ne sais où, et derrière moi, mes traces s’effaçaient dans le sable.

Et nous avons chanté l’amour aussi, surtout l’amour, puisque c’est à peu près tout ce qu’il nous reste dans ce monde de brutes. Nous avons célébré l’amour en dansant des heures dans ce salon, tous à poil sans se connaître, nus dans notre dénuement face au vide existentiel, mais riches de nos corps et de nos esprits enfin libérés.

Puis, peu à peu, nous nous sommes assis et couchés par-terre. J’ai allumé un feu au milieu du salon avec les lattes détachées du parquet. Nous avons continué de chanter ensemble, j’accompagnais Sebastian et Gilbert à la guitare. Graham faisait de la percussion avec des bouts de chaise et de parquet pas encore brûlés. Nous avons parlé de tout et de rien, de la vie, de la mort, de la vie après la mort. Nous avons évoqué Andrea, en se demandant s’il nous entendait de là où il était, en quoi il aurait pu se réincarner. On a refait le monde, je leur ai demandé comment ils assument le fait qu’ils aient vendu une bonne dizaine de chansons à de grosses compagnies pour de la pub, et ils m’ont fait part de leur point de vue éclairé sur les réalités actuelles du comment se nourrir en tant que musicien. La discussion s’est ensuite portée sur les problèmes sociopolitiques en Europe, la pauvreté, le manque de travail, puis Sebastian a commencé à causer longtemps de son régime vegan, c’était intéressant au début et après c’est devenu un peu chiant. Il parlait tout seul et nous nous sommes tous endormis, couchés les uns sur les autres, emmitouflés dans des couvertures de fortune.

Je sais pas quand ils sont partis. Je suis toujours là, à regarder par la fenêtre. Je me retourne et observe le salon, tout propre et rangé, comme si rien ne s’était passé. Le parquet est intact et des fleurs fraîches baignent dans leur vase.

La révolution a peut-être commencé, mais on sait pas vraiment quand, où, ni pourquoi en fait.


Rouquiniol